mardi 13 mars 2012

Chapitre 8 - une séance révélatrice!

Chers lecteurs, cela fait bien longtemps que je vous ai abandonnés et laissés sur votre faim dans l'histoire tumultueuse d'Eiryenn.
Allez savoir pourquoi, aujourd'hui, plus ou moins 2 ans après, j'ai eu envie d'écrire un nouveau chapitre. Et comme vous me l'avez fait savoir, vous aviez l'air d'avoir envie de le lire.
Je vous le livre donc. Je ne vous fait aucune promesse sur la suite, encore moins sur la régularité de cette suite éventuelle, mais vous voyez, rien n'est jamais perdu ;)


Voici donc le chapitre 8 d'Eiryenn: Une séance révélatrice!




Ce matin, j'ai envie de me fondre dans le décor, ambiance voyance et boules de cristal au programme!
Tout à l'heure, je dois assister à une séance avec Sylvia, elle reçoit un jeune couple qui cherche à connaitre son avenir.
Comment doit s'habiller l'assistante d'une voyante qui en fait déjà des tonnes?!

Purée, j'ai rien à me mettre pour ce genre d'occase moi!
Et Sylvia qui dort toujours! Je vais aller fouiner dans son placard, on ne fait pas tout à fait la même taille, mais vu qu'elle ne porte que du ample, du froufroutant et du "bohème" comme elle dit, ça ne se verra pas si c'est trop grand.

A midi, quand Sylvia se réveille enfin, je suis fin prête. Du jupon et du voile, dans un joli camaïeu de bleu et de violet, du bijou qui étincelle de fausseté, du maquillage à outrance. Sylvia sort de sa chambre en chemise de nuit de dentelle, l'œil hagard et la mine pâlichonne. Je l'attends de pied ferme, son café fumant dans un bol en face de moi.
Elle s'installe sans un mot, avale quelques gorgées, tout en me regardant, et, une fois que le précieux liquide noir est passé, me dit:

- Hé ben dis donc, t'en as une dégaine, on dirait la mienne! en me lançant un clin d'œil.
- Ben j'avais peur de faire un peu tâche en jean basket.
- Tu as bien fait. D'ailleurs, je vais aller me préparer aussi, ils seront là dans moins d'une heure.
- Je peux aller tout de suite dans la salle? Histoire de pas avoir l'air surprise par le décor?
- fais comme chez toi chère assistante.

Le temps qu'elle file se préparer, je m'introduis dans la petite pièce sombre. Au milieu, une toute petite table, genre guéridon, recouverte d'une minuscule nappe pourpre et encerclée par 4 sièges monumentaux. Sur un petit meuble à côté, tous les accessoires de la parfaite voyante. Boule de cristal, jeu de tarot, tasses à café, encensoirs. Elle est équipée la bougresse! Quand on pense que c'est tout du flan! pfiouhhhh!
Donc cet après midi, je crois qu'en plus du couple à qui elle doit dire l'avenir, nous avons également une vieille dame qui cherche à communiquer avec son défunt mari. Sylvia a en effet élargi ses activités face à la demande de ses clients.
Je dois dire que la deuxième séance me file un peu les boules, rapport à ce que Syl m'a déjà raconté sur le sujet. Elle SAIT qu'elle ne fait que jouer la comédie, et pourtant, à plusieurs reprises, elle s'est elle-même demandé s'il n'y avait pas vraiment quelqu'un lors de certaines séances de spiritisme.

Je m'assois délicatement sur l'un des grands fauteuils en osier, les fesses bien calées, et tente de m’imprégner de l'ambiance. Respirant fortement les fragrances épicées des encens et des huiles essentielles, écoutant l'apaisant clapotis de la petite fontaine décorative japonaise que j'aperçois dans un coin, j'essaie de me mettre en condition.
De loin, j'entends les portes claquer dans l'appartement, et les pas précipités de Sylvia qui tente de se préparer dans les temps.
Quand la sonnerie de la porte retentit, mon cœur fait un bond dans ma poitrine. Sylvia ne m'a encore rien expliqué, je ne sais pas ce que je dois faire, et j'ignore si elle sera bientôt prête.
Prenant mon courage à deux mains, je décide d'aller ouvrir, après tout, ça ne doit pas être choquant de la part d'une assistante qu'elle vienne vous ouvrir la porte?

Je me faufile donc tant bien que mal ( la pièce est vraiment très exigüe, et très encombrée de tout un fatras aussi moche que probablement inutile) jusqu'à la petit porte qui donne sur l'arrière de l'appartement, dans la petite ruelle, c'est par là qu'arrivent les clients de Sylvia. Ben oui, la porte d'entrée ne devait pas faire assez "ésotérique" je suppose.
Je prends une petite aspiration pour me donner du courage, et j'ouvre la porte sur deux personnes vraiment charmantes. La petite trentaine tous les deux, ils arborent un joli sourire détendu, et un visage accueillant.
Me rendant subitement compte que c'est moi qui suis censée avoir l'air accueillant, j'étale mon sourire le plus avenant sur ma figure, et leur cède le passage avec de grands moulinets des bras, cherchant la phrase d'accueil la plus adaptée possible.

- Bien le bonjour, Madame et Monsieur. Votre avenir vous attend dans quelques minutes, dès que dame Sylvia aura terminé sa séance de recueillement.
Puis, prenant un air de conspiratrice, je leur chuchote
- Oui, vous comprenez, elle a besoin de toute sa concentration avant une séance, car c'est quelque chose de très éprouvant pour un médium.

Les deux hochent la tête d'un air entendu, et s'installent dans les fauteuils sur mon invitation.
Le silence me parait assourdissant tellement j'ignore comment le meubler.

Après quelques minutes à se regarder en chiens de faïence, je finis par craquer et leur proposer un rafraichissement. Soulagés, ils acceptent avec beaucoup d'enthousiasme une tasse de café. Je quitte silencieusement la pièce, et, sitôt la porte refermée, me mets à courir comme une dératée pour essayer de trouver Sylvia. Je la trouve dans la salle de bain, occupée à parfaire son maquillage.
- Mais viens!! Ils sont là depuis 15 minutes déjà! Qu'est-ce que je suis censée faire? Qu'est-ce que je suis censée dire?
- Ah mais, t'inquiète pas chérie! Ajouter du mystère à la situation ne peut être que profitable!
Et elle me passe devant en froufroutant de la jupe, avec un petit clin d’œil à mon intention.
Je la suis maladroitement et, pas garce, l'informe tout de même qu'on est supposé arriver avec du café. Sylvia s'empresse de préparer une pleine cafetière, et emporte le précieux liquide, ainsi qu'un service datant surement de l'ère préhistorique, sur un plateau d'argent, aussi à l'aise qu'un poisson dans l'eau.

Surgissant dans la petite pièce obscure de façon très théâtrale, elle lance
- Très chers amis, vous êtes venus aujourd'hui faire appel aux incroyables dons de médium de Sylvia! Sylvia est prête désormais à vous révéler tout ce qu'elle sera en mesure de découvrir! ( vous remarquerez qu'elle ne dit pas:" toute la vérité sur votre avenir", arnaqueuse ok, mais pas menteuse!)

Les préoccupations du jeune couple étaient en fait assez ennuyeuses, ils voulaient savoir quand madame tomberait enfin enceinte, quand monsieur aurait enfin sa promotion, et s'ils vieilliraient ensemble dans une belle maison.
En quelques claquements de langue, et un peu de chiromancie, Sylvia a expédié tout ça vite fait bien fait.
Et c'est fort heureux car le rendez-vous suivant est arrivé très en avance, et que je l'aurais eu un peu mauvaise de faire poireauter la petite vieille dans la ruelle morbide de derrière.

Une vieille dame succède donc aux tourtereaux, dans cette petite salle angoissante, très sombre, dont quelques recoins échappent à peine à l'obscurité grâce aux quelques bougies disséminées de ci de là.
Et, de sa petite voix tremblotante, elle nous réexplique ce qu'elle nous a déjà dit au téléphone, à savoir que son cher mari est décédé il y a peu, et qu'ils s'étaient toujours promis qu'une fois l'un des deux trépassé, ils feraient l'un et l'autre tout ce qui était en leur pouvoir pour tenter d'établir une communication.
Cela faisait désormais quelques semaines, et la pauvre dame n'avait eu aucun signe probant depuis l'au-delà. Elle tentait donc, par l’intermédiaire de Sylvia, de mettre en place le réseau de communication qui lui permettrait éventuellement de reprendre le contact.
Sylvia semble touchée par son histoire, et je la sens sur le point de tout annuler, elle ne doit pas avoir la force d'escroquer cette pauvre vieille dame. Je l'imagine déjà repartant d'ici, penaude, désespérée, éplorée à l'idée de ne plus jamais pouvoir parler avec son mari.
Je prends donc, bien cavalièrement, les choses en main.
- Bien sur madame! Comme votre histoire est touchante! Sylvia et moi même allons nous faire un plaisir, et un devoir, de vous aider dans votre démarche! (mais qu'est-ce qui me prend moi?)
Le regard ahuri de Sylvia me fait me demander si je n'aurais pas mieux fait de fermer mon clapet!
Mais la petite vieille affiche maintenant un sourire éclatant de bonheur et d'impatience, et nous ne pouvons plus reculer.

La séance de spiritisme se met donc en place, mais je sens d'ici les réticences de Sylvia. Les minutes s'écoulent et rien ne se passe. Elle est en train de refuser de faire son habituelle mise en scène, choquée à l'idée de laisser croire à cette pauvre dame que son mari est là, parmi nous, quand il n'en est rien.
Les yeux ouverts et le regard fixé sur la cliente, j'ai le cœur brisé en découvrant son visage si rayonnant quelques instants auparavant, se décomposer au fur et à mesure du temps qui passe sans qu'aucun signe d'une mise en contact n'apparaisse.
Incapable de décevoir cette gentille mamie, j'interviens à nouveau.
- Charles! Charles, si tu m'entends viens nous rejoindre! Anabelle est là qui t'attend! Anabelle a besoin que tu lui montres que la mort ne vous a pas séparés!

Cette fois, Sylvia n'est plus ahurie. Elle a carrément la mâchoire qui tombe par terre. Je ne sais pas trop moi même dans quoi j'ai mis les pieds, mais je prends le parti d'aller jusqu'au bout pour rendre son sourire à la petite grand mère qui a touché mon cœur.
Je hausse donc la voix.
- Charles! Fais nous un signe!
Dans la précipitation, je ne m'étais pas assurée d'avoir d'objet suffisamment léger à faire bouger. Je parcours rapidement la salle des yeux, vérifiant au passage que ceux de ma cliente sont toujours solidement fermés. La boule de cristal? Carrément trop lourd, ça ne marchera jamais. Le guéridon? Pareil. Les bougies? L'encens? Un peu dangereux à manipuler, surtout avec ma légendaire maladresse! Alors quoi, merde?
Soudain, une illumination. La cliente a accroché, avec son manteau, un foulard de soie à la patère juste au dessus d'elle.
Je le décroche mentalement et le laisse retomber dans l'air. Il entame une descente tout en douceur, frôle le visage de la dame, et viens caresser délicatement ses mains qu'elle tient serrées sur ses petits genoux fragiles, lui provoquant un hoquet de surprise ( mais elle maintient les paupières bien closes) et termine sa chute délicate au sol dans un léger bruissement à peine audible.
Sylvia la contemple, hagarde, se demandant quelle va être la suite des évènements.
Je suis moi même plutôt inquiète car je n'ai absolument rien prévu, et ignore ce que je pourrais faire d'autre...
Et soudain, comme une perle de pluie sur une feuille délicate, une larme se met à rouler sur la joue d'Anabelle. Pas un gros sanglot non, juste une petite larme, d'émotion, toute seule, laissant une trainée humide derrière elle sur sa peau parcheminée, et finissant sa course au creux de son cou ridé.
- Mon dieu! Vous l'avez senti?
Anabelle ouvre les yeux et son sourire est la plus douce récompense que j'aie jamais reçue.
- Vous avez senti ça? Il m'a caressé la joue! Il m'a tenu les mains! Je l'ai senti!

Sylvia n'est pas tout à fait en colère, mais n'est pas franchement contente non plus. Je sens qu'on va devoir parler de tout cela, mais pour l'heure, le bonheur de la cliente fait chaud au cœur. Elle nous informe qu'elle pense que ce lien crée aujourd'hui suffira peut-être à avoir établi le contact, et que son mari parviendra peut-être mieux désormais à la visiter, mais que si tel n'était pas le cas, elle n'hésiterait pas à revenir voir "la grande Sylvia et sa gentille assistante" pour avoir l'immense bonheur de ressentir à nouveau l'homme qu'elle aime.

La porte se referme et un silence de mort s'installe. Sylvia est toujours dans son fauteuil, un coude sur l'accoudoir, l'arrête du nez pincé entre deux de ses doigts. Une petite ride s'est formée entre ses sourcils, et je commence sérieusement à m'inquiéter des conséquences de ce que je viens de faire. Comme d'habitude, je n'ai pas réfléchi avant d'agir, c'est ce que m'a toujours reproché ma mère, et je n'ai aucune idée de la gravité de ce que je viens de déclencher.

Sylvia me demande, sans ouvrir les yeux, pourquoi j'ai fait ça.
Apparemment ma réponse va être déterminante.
- Elle m'a fait de la peine la mémé.
- ...
- J'aurais pas du?
- En tout cas, moi, je n'aurais pas osé. On vient d'arnaquer une petite vieille de 80 piges.
- C'était pas pour l'arnaquer Sylvia, regarde comme elle était heureuse!
- Je sais pourquoi tu l'as fait. Mais ça ne change rien que, devant un juge, on l'aura arnaquée.
- Ben y a plus qu'à s'efforcer de pas aller devant le juge...
- Wé. Tu vas rester avec moi. Tu es ma nouvelle assistante à temps plein. Je n'avais pas réalisé que ton petit pouvoir pourri pouvait servir à quelque chose, finalement.
- Je serai payée?
- Tu seras nourrie, logée, blanchie, et assurée de pas te faire fiche à la porte au moindre caprice. Faudra t'en contenter!
- C'est nul, à part pour les caprices, j'avais déjà tout ça.

Sylvia sourit discrètement et se lève, prête à aller se changer.
- Ca te dit que j'appelle Matt pour boire un verre ce soir?
- Ah oui! je réponds précipitamment. (Trop?)
Le sourire de requin de ma colloc s'élargit. Elle a l'air fière d'elle.